Idriss Deby, trois décennies dans les petits papiers de Paris
Le président tchadien Idriss Déby Itno, au pouvoir depuis vingt-six ans à la suite d’un coup d’Etat a été réélu pour un cinquième mandat au premier tour de l’élection présidentielle du 10 avril, avec 61,56 % des voix. Un résultat contesté par l’opposition. Son investiture, ce lundi 8 août, se déroule dans un climat de tension.
Au pouvoir au Tchad depuis presque trente, Idriss Deby Itno a été réélu sans surprise pour un cinquième mandat au premier tour de l’élection présidentielle du 10 avril dernier. Ses opposants voient dans son investiture, prévue ce lundi, « le jour de tous les dangers ». Les manifestations prévues par le Front de l'opposition nouvelle pour l'alternance et le changement (FONAC) et les organisations de la société civile ont été interdites par les autorités tchadiennes. « Depuis vingt-cinq ans, jamais aucune autorisation de protestation n’a été donnée à l’opposition. Nous sommes dans une ‘démocratie’ où la liberté de manifestation est déniée à l’opposition. Les élections n’ont pas été transparentes : Idriss Deby Itno a été réélu de force », s’insurge Gali Gatta Ngothé, député d’opposition, président de l’Union des forces démocratiques-Parti républicain (UFD-PR) et candidat malheureux à la dernière élection présidentielle. Même colère du côté du chef de file de l’opposition, Saleh Kebzabo, lui aussi candidat en avril, qui appelle à la démission d’Idriss Déby Itno, jugeant sa réélection « illégale et illégitime ».
L’opposition politique et certaines organisations de la société civile dénoncent des fraudes lors du scrutin présidentiel et même un « hold-up électoral », avec « la disparition de centaines d'urnes et de milliers de procès-verbaux », un « trafic de cartes d'électeur » le jour du vote. Les opposants évoquent aussi la disparition de militaires qui n'auraient pas voté pour Idriss Déby et dont certains, « arrêtés et emprisonnés », sont « à ce jour portés disparus », selon Gali Gata Ngothé. Pour avoir dénoncé ces disparitions, l’élu fait l’objet de poursuites judiciaires. « Accusé de préparer un coup d’Etat, j’ai déjà été condamné injustement à cinq mois de prison en 2013, rappelle-t-il. Mais nous ne baisserons jamais les bras contre la dictature de Deby. Nous en appelons à la communauté internationale ». Une communauté internationale plutôt complaisante pour le président tchadien, qui ne tolère pas les contradictions et jette régulièrement les opposants et militants de la société civile en prison. Mais en dépit de l’interdiction de manifester, le FONAC a maintenu son programme de protestation pour les 6, 7 et 8 août, avec un meeting à N’Djamena, une marche pacifique et une journée « ville morte ». Dans un appel adressé au peuple tchadien, le parti d’opposition appelle les Tchadiens à s’opposer « à tout pouvoir qui se prend ou s’exerce par la force ou la violence ». Pour justifier l’interdiction du meeting et de la marche, le ministre de la Sécurité publique, Ahmat Mahamat Bachir, invoque, dans un contexte régional troublé, « la paix et la stabilité chèrement acquises ». « Ce n’est pas de gaieté de cœur que le ministère de la Sécurité publique interdit les marches pacifiques ou non pacifiques. La lutte contre les terroristes en général et contre Boko Haram en particulier exige de nous un comportement exemplaire », fait-il valoir.
Dans ce climat de tension, aucun camp ne désarme. Du côté du pouvoir, les préparatifs de l’investiture battent leur plein. Accompagné de son épouse, Idriss Deby Itno s’est rendu jeudi à la Cité des hôtes qui abritera la cérémonie, pour y inspecter personnellement les installations. Dans ce bras de fer entre opposition, société civile et pouvoir, Gali Gatta Ngothé craint la répression. « Comme à l’accoutumée, Deby va recourir à la violence policière et militaire. La répression est aussi le corollaire d’une gestion autoritaire et solitaire du pouvoir. Dans l’armée, il n’y a pas de culture de protection des droits des citoyens, pas de culture républicaine », déplore-t-il.
Cette investiture intervient dans un contexte de crise sociale. Depuis plusieurs semaines, les grèves se succèdent dans les administrations, les hôpitaux, les écoles et les universités, pour réclamer le paiement des arriérés de salaires, de bourses. Toujours pour des moyens de survie quotidienne. La rente pétrolière ne bénéficie pas à la population : près de 80% des Tchadiens vivent avec moins de 1 dollar par jour et l’espérance de vie dépasse à peine les 50 ans.
À l’extérieur, pourtant, Idriss Déby Itno est perçu, regrette Gali Gatta Ngothé, comme « un pilier du dispositif militaire français Barkhane dans la bande sahélo-saharienne ». « Il est l’allié des grandes puissances, la marionnette de la France. Les Tchadiens savent pourtant qu’il est à l’origine de nombreuses exactions », avance-t-il. Le déploiement militaire français au Tchad, qui abrite le commandement de l’opération Barkhane, est loin de faire l’unanimité. « La France doit comprendre que la lutte contre le terrorisme sans un agenda politique est une lutte sans issue, insiste Gali Gatta Ngothé. Paris doit cesser d’apporter son soutien à des dictatures au nom de la lutte antiterroriste »